Univers Vaillant

Disparition de René Moreu, figure emblématique de Vaillant

René Moreu, le tout premier rédacteur en chef de Vaillant, nous a quittés le 16 mai dernier, à l’âge de 99 ans. Retour sur le parcours d’un Résistant et d’un artiste touche-à-tout trop méconnu.

René est né le 11 novembre 1920, à Nice. Mais, c’est à Marseille qu’il passe son enfance, où son père travaille comme décorateur d’étalages pour les grands magasins. En 1932, la crise de 1929 commence à se faire durement ressentir en France, et de fil en aiguille la famille Moreu doit changer de vie : c’est ainsi que le papa prend la gérance d’un café. Café dont les murs et plafonds deviennent bientôt de vraies petites œuvres d’art sous l’impulsion des cinq enfants qui se découvrent des talents (réels ou rêvés) de peintres. René, qui semble plus doué que les autres, « s’attaque » aux murs et cloisons de l’arrière-salle qu’il recouvre d’athlètes et de motards. Mais, la manifestation de son goût pour l’art ne s’arrête pas là : il dessine et peint des toiles, notamment des vues du Vieux-Port qu’il affectionne. Puis, il découvre le cubisme, mouvement pour lequel il se passionne.

Son envie d’indépendance le pousse à exercer très tôt divers petits métiers : il est peintre en lettres (pour des enseignes ou des affiches), il devient manutentionnaire dans une forge, puis se fait embaucher comme mécano à l’imprimerie du Petit Marseillais. Fin 1940, René Moreu est réquisitionné comme homme à tout-faire sur un navire garde-côtes. Il décide alors de quitter la cité phocéenne et d’entrer en Résistance. D’actes de bravoure en errances, ses aventures l’amènent à Paris en 1943, où il fréquente l’Académie de la Grande Chaumière. Pendant une mission dans les marais de Guérande pour la Résistance, il devient soudain à demi-aveugle. Il est victime d’une dégénérescence rétinienne d’origine génétique. Soigné clandestinement, et sans résultat très satisfaisant, à l’hôpital Saint-Louis, il participera malgré tout à la libération de la capitale et dans la foulée devient rédacteur en chef du Jeune patriote qui devient grâce à lui un véritable magazine, Vaillant, le jeune patriote. Il n’occupe ce poste, pas suffisamment artistique pour lui, que jusqu’en 1947. Et en 1951, il crée l’ourson Riquiqui, la vedette du « petit frère » de Vaillant intitulé Riquiqui, les belles images et destiné aux plus jeunes.

En 1953, grâce à une technique chirurgicale nouvelle, sa vue s’améliore. Il peut alors devenir peintre à plein temps, comme il en a toujours rêvé. Il exécute une série de gouaches et de collages présentés en 1958 à la Librairie-Galerie Saint-Germain, et illustre des livres (notamment, en trentaine de livres pour enfants des éditions de La Farandole, jusqu’en 1974). Mais, tout cela ne l’éloigne pas du « journal le plus captivant » ! Au contraire, jusqu’au début des années 70, il continue de faire vivre Riquiqui et de seconder dans l’ombre les rédacteurs de Vaillant qui font volontiers appel à ses conseils et ses idées toujours pertinents. Il est devenu plus ou moins officieusement un personnage clef des Éditions de Vaillant.

En 1964, il s’installe avec son épouse Madeleine Bellet dans une charmante maison d’un petit village de l’Oise, Fontaine-Bonneleau. Si le nom de sa dulcinée vous dit quelque chose, c’est à raison : Madeleine est l’une des fondatrices de Vaillant, directrice du journal pendant près de vingt ans. Là, René Moreu, s’adonne encore à sa passion, il brosse des toiles à dominantes brune ou ocre, qu’il appelle des « morilles ». Son travail d’artiste-peintre est enfin reconnu en 1976 lorsqu’une grande exposition rétrospective lui est consacrée à la Maison de la culture d’Amiens. Hélas ! sa vue décline à nouveau à la fin des années 70, il se met alors à bâtir des petits tableaux faits de collages, assemblant avec art des matériaux divers, plumes, bois, étoffes, carrelage. A partir d’objets cassés, il conçoit ce qu’il appelle des « casiers mirobolants ». Puis, il se lance dans l’élaboration de grands panneaux où s’amoncellent terre et brindilles pigmentées. Le toucher a pris la relève de la vue dans son œuvre.

La santé de son épouse nécessitant de repartir vers le sud, c’est dans le Lot que René Moreu passera les dernières décennies de sa vie. Là, il a continué à explorer ce nouveau langage pictural qu’il avait créé, transformant des fragments de matériaux sans éclat en objets d’art générateurs de rêves. Dans les années 2000, les expositions qui lui sont consacrées se sont multipliées dans l’Oise, à Paris, en Ardèche, dans le Gard, en Gironde et dans le Lot.

René Moreu s’est donc éteint quelques mois seulement avant son centième anniversaire. Lundi 18 mai, le Président Emmanuel Macron a adressé « ses condoléances émues à sa famille, à ses proches et à tous ceux dont l’enfance a été égayée par ses illustrations » et a salué « l’engagement de l’homme et le talent de l’artiste ».

 

Source principale : Vaillant, la véritable histoire d’un journal mythique, de Hervé Cultru (Vaillant collector).

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S
J'ai appris plein de choses et découvert un sacré monsieur ! Merci.
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D
Content de t'avoir fait découvrir ce monsieur, Stéphane, même si c'est à une si triste occasion. René Moreu ne mériterait pas de sombrer dans l'anonymat, nous continuerons à évoquer son œuvre pour Vaillant sur ce blog.
D
Ton article est un bel hommage à René que je ne connaissais pas non plus. Je lis ci-dessous que "sa disparition est presque passée inaperçue", en effet ! :( <br /> Bravo pour ton travail d'investigations ! Je me suis abonnée à la newsletter, plus aucun prétexte pour louper un article ! ^_^
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D
Et en plus, ça m'encourage de voir le nombre d'abonnés grimper. ^_^
N
Je ne connaissais pas, c'est interessant.
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N
c'est encore plus triste...
D
Oui, trop peu connu, sa disparition samedi dernier est presque passée inaperçue... :(